66e Salon de Montrouge
Lou Ferrand

La mythologie grecque raconte qu’Artémis, désirant se venger d’un roi qui aurait manqué de lui faire une offrande promise, envoya un sanglier déchaîné et furieux ravager le pays de Calydon, dont l’animal prendra jusqu’au nom. Depuis, des légendes médiévales aux faits-divers contemporains du journal local, le sanglier symbolise dans les imaginaires la fougue et la ferveur de ce qui déborde, qui déboule ou qui dévaste. Faisant fi de la propriété privée et transgressant les limites – métaphoriques ou réelles – de la territorialité, c’est cette poétique du désordre qui a conduit Elsa Brès à faire de l’animal à la fois le sujet et l’objet – mais aussi le baromètre et la focale – de son film Les Sanglières. Ainsi féminisé, le titre évoque notamment Les Guérillères de Monique Wittig, et convoque par là le matriarcat pugnace et combatif de la horde, qui se décale de la laie aux sanglières, personnages du film qui deviennent communauté. Communauté qui advient même au-delà de l’écran, le film venant infuser sur la réalité en créant des liens forts entre ses protagonistes tandis que son écriture embrasse une méthodologie de plus en plus collective.

Tourné dans les Cévennes où l’artiste habite, Les Sanglières s’intéresse à l’histoire politique du paysage, faite de résistance et d’affrontements, affectée tant par les révoltes paysannes de femmes que par les luttes autonomes ou encore les assemblées nocturnes et secrètes qui s’y sont succédées. Les films d’Elsa Brès cherchent, à partir d’hypothèses et de narrations alternatives, à déceler les strates plus opaques et marginales qui existent en deçà des récits officiels de certains lieux aux systèmes et infrastructures complexes. Densifiant sa recherche sur un temps de travail élargi, l’artiste extrait des fragments du film « in progress » qu’elle donne à voir de manière indépendante, lui permettant d’expérimenter avec les dispositifs de tournage et différents vocabulaires d’images. Elle y intègre par exemple des vers de poésie, des considérations issues de la philosophie de l’environnement, ou encore des interprétations visuelles esquissées à partir des données générées par une étude de l’habitabilité de la forêt.

Oscillant entre le jeu de piste ludique et le schéma tactique, ces cartographies spéculatives ouvrent des brèches ou des chemins de traverse pour de nouvelles expériences ayant trait à l’infiltration ou à la subversion. Ce faisant, l’artiste témoigne d’une appréhension de l’écologie exempte de romantisation. Poursuivant les déclinaisons lexicales et la création de néologismes, on entend dans le film le terme de « sangliercentrisme », notamment matérialisé par une séquence en caméra subjective. L’animal devient alors le prisme par lequel sonder l’humain et sa tendance à plaquer sur autrui des présupposés de sauvagerie, de déviance ou de monstruosité. En se demandant qui aurait intérêt à se placer aux côtés du sanglier, Elsa Brès compose un nouvel « alphabet » d’alliances et de coalitions possibles.